AGRICULTURE – Propos de salon

2017-337497_salon-international-de-l-agricultureIl y a un an, une quinzaine de d’évêques de France étaient venus arpenter les allées du salon de l’Agriculture à Paris. Cette année, c’est le conseil permanent de l’épiscopat qui poursuit la réflexion, à travers un communiqué récent. C’est déjà ça…

Un beau texte assurément. Mais la volonté du dialogue que prônent nos évêques mériterait désormais des décisions fortes pour incarner leur propos.
Peut on encore écrire un tel texte sans nommer clairement les scandales grandissants qui tétanisent le monde agricole ? Accaparement du foncier, disparition des petites structures, contamination généralisée aux pesticides, appauvrissement des sols, surendettement des agriculteurs, dérives génétiques des OGM, marchandisation du vivant et surexploitation des espèces animales et végétales etc. On peut dire cela sans condamner les agriculteurs qui sont, le plus souvent, victimes d’une logique dominante et d’une monoculture intellectuelle. On peut aussi croire que toutes les initiatives en cours actuellement dans les fermes préparent déjà un nouveau modèle à soutenir. Si nous ne le nommons pas ce modèle, comment prétendre être en soutien ? « Regarder » et « s’interroger » peut il suffire dans ce monde en crise ?
Voici le texte des évêques de France
DÉCLARATION DU CONSEIL PERMANENT : FACE À LA CRISE AGRICOLE : OSER REGARDER AUTREMENT ET S’INTERROGER ENSEMBLE

Voici un an, au nom de tous les évêques de France, quinze d’entre eux s’étaient rendus au salon international de l’agriculture pour y partager les inquiétudes du monde agricole, en particulier des éleveurs. Le salon international de l’agriculture est une occasion offerte à tous de mieux connaître les réalités du monde agricole mais aussi les difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs dans notre pays. C’est pourquoi, cette année encore, nous voulons exprimer notre attention, notre proximité et notre soutien aux agriculteurs en difficulté.

La crise agricole est toujours là, profonde, complexe et multiforme. Dans la grande diversité des réalités du monde agricole, la crise n’atteint pas chacun de la même manière mais personne ne peut se résigner à un avenir incertain pour l’agriculture et ce qu’elle représente. Le verbe « cultiver », disait le pape François, « remet à l’esprit le soin que l’agriculteur a pour sa terre pour qu’elle donne du fruit et qu’il soit partagé : combien d’attention, combien de patience, combien de dévouement dans tout cela ! »1.

Ne pas rester sourd au désespoir des agriculteurs

Qui peut rester sourd au désespoir de nombreux agriculteurs qui ne nourrissent plus l’espoir de vivre de leur travail ? On ne peut rester indifférent devant les dérives d’une économie qui ne met pas l’homme au centre de ses choix. Les profondes inquiétudes exprimées par les agriculteurs sont aussi l’écho du désarroi de notre société face à la complexité des questions qui se posent. La dimension internationale de ces questions renforce le sentiment d’impuissance (les dérégulations multiples du marché mondial contribuent à fragiliser des producteurs dans pratiquement tous les pays).

Nous voyons bien que la vocation d’agriculteur se heurte à bien des obstacles. Mais les questions et les défis qui pèsent sur les agriculteurs sont aussi les nôtres et nous interrogent tous plus profondément : quelle société voulons-nous ? Si les problèmes des agriculteurs ont leurs particularités, ils ne concernent pas seulement leur seule catégorie sociale : nous sommes tous concernés et il est urgent de nous interroger sur nos manières de consommer et de vivre.

Regarder autrement et réfléchir ensemble

Nous n’avons pas de réponse toute faite pour résoudre une telle crise. Mais nous voulons oser regarder autrement et réfléchir ensemble : comment encourager et soutenir les idées, les voies nouvelles, les initiatives qui existent dans nos territoires et qui vont dans le sens de l’innovation, de la qualité du produit et de sa production avec des circuits plus ou moins courts de transformation et de commercialisation ?

Des organisations multiples existent dans le monde agricole et se donnent comme exigence d’accompagner les changements, les mutations en cours, d’aider à mieux les comprendre pour mieux les affronter. Elles abordent des questions majeures pour l’avenir de nos sociétés : la gestion du « vivant », la sécurité alimentaire, la santé, l’environnement…. Nous sommes convaincus que nous devons progresser dans une meilleure connaissance des acteurs qui œuvrent dans ces domaines encore trop méconnus. Le défi à relever est certainement de ce côté-là.

C’est aussi la mission de l’Eglise de participer à ce travail de mise en lien des personnes, de création d’espaces de rencontre, de recherche, de dialogue, de débat, d’entraide, pour progresser dans la qualité de la production, du vivre ensemble, de la vie tout simplement ; en un mot, participer, dans la mesure de nos forces, à donner une âme. Tout en demeurant important, le nombre d’agriculteurs diminue et leur existence devient de plus en plus précaire. Comme beaucoup de nos concitoyens, nous pensons qu’il est urgent de réfléchir à frais nouveaux sur la place, le témoignage et la vocation de l’agriculteur dans la vie locale.

Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France
Mgr Georges PONTIER, Archevêque de Marseille, président de la CEF
Mgr Pierre-Marie CARRÉ, Archevêque de Montpellier, vice-président de la CEF
Mgr Pascal DELANNOY, Évêque de Saint-Denis, vice-président de la CEF
Cardinal André VINGT-TROIS, Archevêque de Paris
Mgr Jean-Pierre BATUT, Évêque de Blois
Mgr François FONLUPT, Évêque de Rodez
Mgr Stanislas LALANNE, Évêque de Pontoise
Mgr Philippe MOUSSET, Évêque de Périgueux
Mgr Benoît RIVIÈRE, Évêque d’Autun
Mgr Pascal WINTZER, Archevêque de Poitiers
1intervention le 31 janvier 2015 à la confédération des cultivateurs Italiens
Commentaire du blog E&E :
Un beau texte. Un de plus. Mais que va t-il se passer ensuite ?
Il y a 16 ans (!), le comité épiscopal en monde rural avait publié un texte très fort, intitulé « Face aux crises agricoles, les chrétiens interrogent la société ».  Un texte qui osait appeler à l’émergence d’une « autre agriculture » (…) « qui suppose une approche globale mêlant sécurité alimentaire, respect de l’environnement, respect de l’animal et plus généralement du vivant sous toutes ses formes. (…) On ne saurait limiter l’agriculture à sa seule fonction de production. »
L’Eglise peut avoir la belle ambition de donner une « âme » aux réalités sociales (ce qui en soi est déjà quelque peu prétentieux…), encore faudrait-elle déjà qu’elle prenne les moyens déjà de soigner le corps social blessé. Les mouvements d’Eglise sont très présents dans ce « soin » et ils sont à soutenir.
Mais à quand des diocèses entiers qui prennent des options économiques fortes pour soutenir des formes d’agricultures proches de l’écologie intégrale demandée par le pape François ? A quand des directives diocésaines pour inviter les rencontres de chrétiens à privilégier des produits de saisons, locaux voire biologiques ? A quand des maisons diocésaines, des écoles privées et des paroisses en avant-garde pour développer cette « contre-culture » dont parle l’encyclique Laudato si, pour résister aux emballements économiques et scientifiques dont le monde agricole est aussi frappé durement ? A quand des évêques dans les salons d’agricultures biologiques ou les rassemblements  de faucheurs d’OGM ? A quand des délégués diocésains en dialogue avec les zadistes de Sivens ou de Notre Dame des Landes ? A quand des diocèses qui mettraient leurs lopins de terres à disposition de jeunes producteurs en quête de foncier ?

3 commentaires Ajouter un commentaire

  1. christinel dit :

    oui, à quand de vrais engagements, au-delà de belles paroles ?

  2. Peryvig dit :

    Le commentaire de Dominique Lang a le mérite de la vigueur et de la clarté. J’y souscris totalement. Les écrits institutionnels, même remplis de bonnes intentions, tombent bien souvent à plat, faute de relais dans la Société. Les actes sont plus vrais que les paroles mais aussi plus exigeants et difficiles à poser dans l’Eglise comme corps social. C’est un peu triste de le constater : la parole du pape François porte plus hors de l’Eglise que dedans. La « mise en actes » de Laudato Si est l’oeuvre de personnes qui se situent en dehors de l’Eglise…

  3. MONIQUE FOUILLOUX dit :

    BRAVO pour l’introduction de D. Lang qui dit tout haut ce que les gens pensent…
    Effectivement, nos évêques se sont bougés en 2016 : ils ont commencé une visite au salon qui a fait un grand grand plaisir ; ça m’a donné le moral…. je me suis dis « enfin les catholiques reconnaissent le métier des agriculteurs, des paysans de souche…. ! ils ne sont pas bobo…. Cette année, surprise ! je suis en colère de voir qu’il n’y a aucune démarche de solidarité, d’accompagnement mais un texte officiel (vite oublié, rien ne vaut le contact humain !).
    ….. et c’est untrès triste vu que la crise s’est bien aggravée. crise aviaire , pas d’oiseaux ….. ET QUI VA BOUGER ?
    Les moines ont inventé l’ agriculture n’est ce pas ? bien sûr aujourd’hui ils ont leur monastère c’est à dire « un toit sur la tête » et de quoi vivre …. et nos p’tits agri qui perdent leur job ….. ce n’est ni le Ministère, ni les religieux, ni les catho qui vont au secours….
    Conclusion : Mrs les évêques, la déchristianisation des ruraux est t o t a l e…. et c’est beaucoup de peine et pour les hommes et pour les bêtes ! restez dans vos bureaux ….. et laudato si ….. qu’en faites vous ? la colère grrrronde.

Laisser un commentaire